Elle s'appellait Anne.
Nous nous connaissions depuis notre plus tendre enfance.
Elle s'est suicidée à 11 ans.
-------------------------
Nous allions au collège ensemble depuis peu, après l'école primaire, c'était la "grande école".
Anne avait toujours été un peu plus grande que moi, avec de beaux cheveux blonds que je lui avait souvent enviés.
Nous ne nous étions jamais séparée l'une de l'autre, collée comme les deux doigts d'une main, amies pour toujours.
Nos parents aussi se connaissaient depuis des années maintenant. Jamais je n'aurai imaginé vivre sans elle,
elle était la seule amie que je souhaitais avoir, j'avais refusé tout le monde comme elle l'avait également fait.
Notre amitié était purement exclusive.
Ce jour-ci, nous avions eu arts plastiques en dernière heure, et nous finissions les cours à 15h.
Un garçon un peu bête de la classe lui avait mis de la gouache verte dans ses cheveux blonds et on avait raté le bus en essayant de lui nettoyer les cheveux dans les toilettes.
On est rentrées avec un retard d'une heure, le temps d'avoir le second bus, et elle s'était faite disputer. Moi ma mère n'avait rien dit, elle n'avait même pas remarqué que je n'étais pas là d'ailleurs.
Comme à chaque fois, on se fixait rendez vous une heure et demie après être rentrées, pour faire nos devoirs ensemble, chez l'une ou chez l'autre.
Le jour d'avant c'était chez moi, aujourd'hui c'était chez elle.
En attendant 17h45 pour aller chez elle, j'avais pris mon goûter, regardé un peu les dessins animés, fait des bisous à mon chien, je m'étais allongée dans le jardin pour regarder les nuages et imaginer des formes...
Puis l'heure était arrivée.
Contente comme chaque jour de la retrouver, j'ai pris mon cartable et j'ai courru chez elle en sautillant.
J'ai toqué, ouvert la porte, je suis rentrée.
"C'est moi !!!!"
"Anne est dans sa chambre ma puce, tu peux monter ! Elle t'attend, je crois qu'elle a déjà commencé à travailler"
"D'accord ! Merci !"
J'ai monté les marches de l'escalier quatre à quatre, et une fois au bout du couloir j'ai frappé à la porte de sa chambre.
Pas de réponse.
"Announinette ????? T'es lààà ?"
Pas de réponse
"Ta mère elle m'a dit que tu étais là, tu peux pas te cacher !"
Je me suis mise à rire, contente d'être sûre de ce que j'avançais...et puis j'ai ouvert la porte.
Oui, elle était là.
Les jambes dans le vide. Le cou au bout d'une corde.
Un espèce de filet de bave qui dégoulinait de sa bouche.
Les yeux vitreux.
J'ai hurlé, j'ai eu peur.
Tétanisée, impossible de bouger.
En m'entendant crier, son grand frère est monté alors qu'il jouait à la playstation.
Il est arrivé derrière moi.
Pourtant il n'a rien dit.
Il m'a posé une main sur les yeux.
"Viens je te ramène chez toi"
Il m'a portée, et m'a descendue, au moment ou leurs parents venaient jusqu'à la chambre.
Je n'ai entendu personne crier ou pleurer.
Je ne pouvais plus bouger.
Il m'a ramenée chez moi, ma couchée, et a parlé 5 minutes à ma maman, je n'ai jamais sû ce qu'il lui avait dit, mais elle avait l'air de tout savoir.
Je me suis endormie net.
-------------------
Plus rien n'a jamais été pareil.
Le premier réveil ou l'on croit que c'était un cauchemard.
Le regard des autres au collège, comme une pestiférée.
Les gens qui accusent.
La solitude.
Et ces cauchemards qui me hantent depuis 9 ans, ou je la voit m'appeller au secours et où je m'enfuis comme une lache.
Où sa tête tombe à mes pieds, où son corps se décompose quand je la sert contre moi.
---------------------
Il aura fallut attendre 7 ans pour qu'on m'explique que son père était alcolique et violent avec elle.
Je n'ai rien vu venir.
J'étais sa meilleure amie, et elle ne m'a rien dit.
Parfois le silence et le secret sont les pires des choses.